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Mercredi 9 septembre 1914

Tout à coup le train s'arrête, le jour commence à poindre. Chacun se rue vers la coulisse et saute à terre, éprouvant le besoin de se soulager. Nous sommes à Limoges, il est 3H1/2. 

La locomotive fait le plein d'eau et de charbon; à 5 heures, nous repartons. Mainteant il fait clair et nous pouvons contempler les différents paysages, le temps semble moins long.

Nous passons devant Ambazac qui fut célèbre il y a peu d'année à cause du vol de sa châsse antique. C'est une petite bourgade d'aspect plutôt pauvre dominant une petite vallée au milieu de laquelle coule un ruisseau tortueux. Cette vallée est bordée de coteaux assez prononcés, recouverts de châtaigneraies.

Puis nous passons par La Jonchère et arrivons à Saint Sulpice Laurière d'où je t'expédie ma première carte, il est 8 H 1/2.

Ici on complète les fournitures des hommes qui sont partis d'Angoulême sans les avoir. Nous repartons à 9H. J'ai profité de cet arrêt pour manger un peu. Avant j'étais encore si ému que je n'avais rien mangé depuis la veille quand j'étais avec toi. Ce goûter me réconforte un peu, j'en avais bien besoin.

Nous passons par Bersac d'où l'on admire les Monts du Limousin. Ici le pays est si pittoresque que notre train est sans cesse au-dessus d'une vallée; on passe sous un tunnel ou encore dans une tranchée qui offre des blocs de granit énormes. Nous arrivons dans la Creuse. A chaque instant, des trains nous croisent. Malgré leur vitesse et la vitesse du nôtre, par les portières ouvertes, nous distinguons très bien la ligne rouge formée par les pantalons militaires. Ce sont des blessés qui sont dirigés dans toutes les villes du midi et de l'ouest. C'est encore pour nous un sujet à réflexions.

Nous voici à La Souterraine, magnifique localité où pendant l'arrêt, des dames, habillées en infirmières, nous offrent de la menthe à l'eau et des morceaux de pain blanc disposés dans des corbeilles. Ce geste généreux nous laisse un bon souvenir car il fait chaud et la menthe surtout fait plaisir.

Nous passons ensuite devant Argenton sur Creuse qui a l'aspect d'une coquette petite ville bâtie sur un coteau assez élevé. Au nord de la gare, au sommet du coteau, au-dessus de la ville, une belle statue représente probablement une Madonne. Sous l'action puissante des rayons du soleil, elle nous envoie ses reflets d'or.

De chaque côté, il y a aussi de magnifiques coteaux de vignes. Nous arrivons à Châteauroux à midi, un moment d'arrêt, j'en profite pour envoyer quelques cartes.

Comme quelques autres camarades, j'ouvre une boîte de sardines et nous prenons notre repas de midi. Nous passons devant Issoudun sans nous arrêter, mais plus loin en rase campagne, le train stoppe : la voie est encombrée d'autres trains militaires. Dans un champ, à environ 60 mètres de nous, il y a des pêchers; un de nos camarades, probablement gourmand, descend pour aller chercher des pêches. Pendant son retour, le train repart. Il laisse tomber son chargement et se met à courir à toutes jambes, mais le train ne l'attend pas et il reste derrière. Ceci produit l'hilarité générale, lui sera sûrement puni.

Nous arrivons à Vierzon à 15 H, la gare est bondée de trains militaires. Je profite de cet arrêt pour lancer quelques cartes. Nous quittons Vierzon à toute petite vitesse, passons à Salbris, arrivons à Lamotte où nous stationnons jusqu'à 19H. C'est une petite station au milieu des bois. Les fesses me font tellement mal d'être toujours assis que je ne peux plus résister. Je descends et cherche quelque chose pour améliorer mon siège. Je trouve une grande brique, la rapporte et la mets sur mon sac. Cela fait comme un petit banc. Je suis mieux, je finirai donc mon voyage avec ce canapé.

Une fois réinstallé, je coupe en quatre le poulet que tu m'avais donné la veille, j'en garde un morceau, je donne le reste à chacun de mes camarades les plus proches et nous dînons.

Notre train repart par petits bonds, sans faire beaucoup de chemin. Nous passons la nuit comme cela, à patiner pour ainsi dire sur place. Nous somnolons et quand le jour se lève, nous sommes en gare des Aubrais, il est 3H du matin ce 10 septembre.