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Vendredi 11 septembre 1914

A l'aube, c'est le réveil, nous mangeons un peu. Je suis bien content de ma petite réserve de vin que j'ai payée si cher à Troyes parce qu'ici, il n'y en a point.

A 6 H, nous nous reformons en colonne, c'est un nouveau départ. Plusieurs hommes qui se disent mal en point sont laissés derrière sans façon. Nous allons encore vers le nord sur la route Brienne-Châlons. Le temps est frais, nuageux. Nous passons devant de vastes plaines tout juste moissonnées, certaines parcelles ne le sont pas encore mais elles sont aplaties par le passage des troupes et ça fait mal au coeur de voir cela.

Vers 8 H, le ciel s'éclaircit, le soleil nous innonde de ses rayons. Les aéroplanes volent de tous côtés, observant les positions ennemis. Sur le bord de la route, des chevaux morts par ci, par là,  commencent à dégager une odeur insupportable.

A 9 H, nous apercevons un bourg surmontant un coteau assez élévé. Notre route le traverse mais nous nous arrêtons 200 m avant pour faire la grande halte. Nous sommes à Margerie, bourgade située à 10 km de Rosnay l'Hôpital. Cette localité fait la séparation du département de l'Aube avec celui de la Marne.

Ici, les 500 hommes du 33ème qui s'étaient formés à Cognac nous laissent et prennent les devant. Nous ne devrons plus les revoir.

Après avoir mangé quelques sardines, préparé et bu le café, une heure s'est déjà écoulée. Pendant ce laps de temps, les camions, automobiles n'ont pas cessé de passer, venant de Brienne, chargés de vivres pour les troupes qui sont déjà devant nous.

Dix heures sonnent, un coup de sifflet retentit, nous repartons, sac au dos, traversons Margerie et arrivons dans une plaine. A côté d'une ferme est installé un parc d'artillerie : c'est le 52ème d'Angoulême qui a un détachement ici en réserve pour l'approvisionnement des obus.Nous reconnaissons quelques camarades en passant, cela nous fait plaisir. Nous continuons, croisant souvent des convois d'artillerie et des convois plus attristants : ceux des blessés. Mais nous en avons déjà tellement vus que nous les regardons passer avec pitié mais aussitôt après, nous n'y pensons plus! Un peu plus loin, à un croisement de routes appelé "Le Petit Paris", des voitures attendent : elles ont apporté des vivres et au retour, elles repartiront avec des blessés.

On nous fait quitter la route pour aller dans un champ  moissonné, les gerbes sont encore là, éparses, à moitié piétinése par les chevaux. On nous fait arrêter, mettre sac à terre, mais comme le vent est frais, nous nous couchons derrière les gerbes et attendons.

Le campement se forme et s'en va devant vers une localité toute proche afin de préparer les cantonnements, c'est Brandonvillers. Pendant cette attente, un cabriolet arrive conduit par des soldats. Au milieu d'eux se trouve une grosse femme blonde tout échevelée. Cette particularité nous intrigue. Nous nous avançons, la voiture s'arrête et les soldats nous disent que c'est une espionne. Nous nous empressons de crier "A mort!"! La voiture repart emportant sa peu intéressante capture.

Le canon tonne avec rage et dame, il n'est pas très loin, cela nous fait penser que bientôt nous serons aux rangs des braves.

Deux heures de l'après-midi, un coup de sifflet retentit, nous nous formons en colonnes prêts à partir. Nous regagnons la route, direction Brandonvillers. Aux premières maisons de cette bourgade, un grand pré est couvert par l'artillerie. Elle est là en attente de partir à son tour pour aller bombarder l'ennemi, c'est encore le 52ème. Certains soldats accourent à notre vue, on s'échange des quolibets amicaux. Mais nous filons de l'autre côté du bourg. Là est notre cantonnement.. Il est des plus simples:  toute ma section est logée dans un petit hangard qui ne ferme pas, mon caporal et moi nous nous installons dans le tablier d'une moissonneuse-lieuse, ce sera notre chambre à coucher! Les rabateurs nous servent de porte-manteaux. Il ne faut pas faire le difficile dans la vie!

Après un instant de repos, nous ouvrons quelques boîtes de thon et nous dînons mais sans vin, mon bidon est à sec et pour le faire regarnir, il ne faut pas y penser: même à n'importe quel prix on ne trouverait pas de vin ici. C'est qui est plus dur, c'est qu'il n'y a même pas d'eau non plus. Il y a bien une pompe à la ferme où nous sommes logés, mais après quelques seaux d'eau, elle ne donne plus, c'est donc l'économie forcée.

La nuit arrive et avec elle la pluie. Nous nous installons avec quelques bottes de paille d'avoine et nous voilà couchés. Mais la nuit est longue.