Le 31/10/2009 Gabriel DELAGE nous a quittés
Nous lui devions tout. Nous ressentons sa disparition avec encore plus de tristesse et d'émotion que les autres associations auxquelles il appartenait car notre association était la sienne, celle qu'il avait fondée en 1983 avec quelques autres mordus, celle qu'il avait inlassablement animée pendant des années. Bien qu'il se soit un peu effacé ces derniers temps, il était connu de tous pour son savoir et sa disponibilité.
Il aimait rappeler que jusqu'à l'âge de 6 ou 7 ans, il ne parlait que patois, ignorant le français. Il s'était bien rattrapé par la suite puisqu'il avait terminé sa carrière d'enseignant comme professeur d'histoire et géographie ! D'autres parleront de son travail au sein de la Société Archéologique dont il fut Vice-président. D'autres encore ne manqueront pas d'évoquer son engagement dans la vie communale. Pendant plusieurs années en effet, jusqu'en 1977, il fut maire de Varaignes, et avec la restauration du château, la célèbre foire aux dindons et autres manifestations, apporta dynamisme et notoriété à ce charmant petit village situé à la limite du Périgord et de l'Angoumois. Mais restons dans le domaine de la généalogie.
Il avait dépouillé aux Archives Départementales d'innombrables documents. Travail de titan ! A l'époque, les AD étaient beaucoup moins fréquentées qu'aujourd'hui. Monsieur Delâge y avait en permanence sa table avec sur celle-ci les documents qu'il dépouillait. Dès qu'il avait un moment de libre, en début ou en fin de journée, entre deux cours même, il accourait et poursuivait son travail. Il avait ainsi accumulé de très nombreux renseignements que nous retrouvons en partie dans les sept livres qu'il a publiés et dans de nombreux articles parus dans diverses publications. Par la suite, ces notes, synthèse des actes notariés et de justice, ont été photocopiées et réunies en plusieurs volumes avec un index des noms de personnes et de lieux ; ces volumes sont toujours disponibles à l'Association.
Il n'était pas partisan de la publication dans le bulletin "d'ascendances d'une longueur démesurée" selon ses propres termes. Plus que les dates, indispensables pourtant en généalogie, c'était la vie qui l'intéressait, la vie de tous les jours, celle du roturier comme celle du noble, celle du plus humble comme celle du plus riche. Il utilisait un classement par couples qui lui était personnel. Il était cousin avec de nombreux adhérents qui profitaient avec bonheur de ses recherches. Dès sa création, la nouvelle association pratiqua l'entraide ; entraide entre ses membres comme il se doit, mais également aide à tous en mettant ses travaux à leur disposition aux AD, notamment en les faisant bénéficier d'un fichier des mariages "post révolution", classés par cantons et, par la suite, de nos bulletins, relevés, etc. Apprécié par bon nombre de personnes, Gabriel Delâge avait particulièrement de bons rapports avec la directrice, Mme Ducluzeau.
Elle avait aidé à la fondation de l'AGC et nous hébergeait lors de nos réunions. Ces relevés cantonaux furent le premier travail important du groupe : établissement de fiches au fur et à mesure de la lecture, classement par ordre alphabétique dans la commune, mise au propre sur feuilles et enfin publication par canton.
Le choix de cette période par le Président peut surprendre. Les autres cercles dépouillaient les registres paroissiaux, travail plus complet mais avec une couverture géographique plus restreinte. Alors qu'ainsi le département fut assez rapidement couvert et il suffisait d'un simple coup d'oeil dans une brochure, ou au plus deux ou trois, pour trouver la date et le lieu d'un mariage et poursuivre ensuite la remontée, les gens de l'époque étant peu mobiles.
Conseil d'administration 1988 : Ch. Dorot - G. Delâge - R. Demolombe - A. Lafaurie - A. Sillon F. Cailleau - S. Ferachat - H. Le Diraison - A-M. Mafioly - H. Chadouteaud - A.Thibaud
Par contre il était indifférent aux échanges entre cercles dans le cadre d'une organisation régionale. Et à ceux qui s'en plaignaient, il répondait "Nos travaux sont à la disposition de tous. Que pouvons-nous offrir de mieux ?".
Par la suite ce fut le dépouillement des registres paroissiaux dont il avait "débattu" l'organisation avec Mme Ducluzeau. Ainsi commencèrent les journées du jeudi qui devaient devenir par la suite journées du vendredi ! Seuls dans une salle, ambiance conviviale, bons mots, aide réciproque. Que du bonheur !
Parallèlement, il y avait d'autres activités : l'initiation et la lecture des textes anciens. Pour cette dernière, il avait préparé au fil des ans des centaines d'actes avec leur "traduction" (ils servent encore) et lorsqu'on lui demandait des abécédaires du XVI au XVIIIe, il répondait que ça n'apportait pas grand-chose, que la seule manière de progresser était de lire, de lire et de lire encore. Autre enseignement que j'ai retenu "ce que vous lisez doit dire quelque chose. Nos ancêtres n'étaient pas plus bêtes que nous. Si la phrase n'a aucun sens, c'est que probablement vous vous êtes trompé". Il faudrait parler des réunions dont souvent il assumait la "causerie" et surtout du bulletin objet de tous ses soins, objet également de discussions passionnées où nous n'étions pas toujours d'accord ! Dans presque tous les numéros, il signait un article de qualité. Il avait des chemises classées par sujet dans lesquelles attendaient de nombreuses notes. "Combien vous faut-il de pages ?" Le texte suivait rapidement !
Il me revient aussi la difficulté qu'il avait pour atteindre une place lorsqu'il venait aux AD ; il y avait toujours quelqu'un pour se précipiter vers lui dès qu'il apparaissait afin d'avoir un conseil ou déchiffrer un mot. Bien d'autres souvenirs se bousculent dans ma tête. Il y a tant d'anecdotes mêlant étroitement Gabriel Delâge et notre association. Peut-être un jour pourrons-nous y consacrer un numéro spécial, reprenant également les articles les plus intéressants parus dans la revue. Petit à petit ses venues aux AD s'espacèrent puis cessèrent totalement. Il n'avait pas pour autant arrêté son activité. Chez lui, il recevait de nombreuses visites, se tenant au courant de la vie de l'AGC. Si l'on citait un patronyme il ouvrait l'une de ses bibliothèques et trouvait souvent la réponse. D'autres demandes lui arrivaient par téléphone ou par courrier. Il répondait à tous.
Il s'était mis rapidement à l'ordinateur grâce à un sien neveu. Lorsque je lui avais apporté des CD de Gallica reprenant d'anciens bulletins de la Charente, Périgord et autres, il fut enthousiasmé. Et son enthousiasme grandit encore avec les photos de registres paroissiaux de sa région que lui avait procuré Louis Tropeau.
Par contre, ses premiers pas sur le forum furent catastrophiques. Il avait trouvé des réponses à une demande, l'avait annoncé et préparait une réponse étoffée, fidèle à son habitude. Son interlocuteur trouvant qu'il ne répondait pas assez vite le traita de charlot et autres noms d'oiseaux. Ce fut terminé. Il resta désormais silencieux.
Fuyant publicité et honneurs, lorsqu'il était sollicité par des journalistes, il les dirigeait souvent vers un autre membre de l'association ! Cette rapide évocation serait incomplète si l'on ne parlait pas de son épouse, Raymonde Delâge, peintre, dessinatrice, caricaturiste et de leur fructueuse collaboration, l'un à l'écriture, l'autre à l'illustration.
Je suis admiratif et apprécie ces dessins illustrant livres, menus et bon nombre de nos bulletins - "Donnez moi l'idée" me disait-elle, "je ferai le dessin" ; malheureusement des problèmes de vue l'avaient handicapée ces dernières années.
Très discret dans la vie, Monsieur Delâge nous a quittés très discrètement, presque sur la pointe des pieds. Qu'il nous soit permis de dire à Madame Delâge et à toute sa famille, tout ce qu'il représentait pour nous et la tristesse qu'est la nôtre.
Bernard BORDIER